« Pour que la surdité ne soit plus un sujet »
Entretien avec Denis Le Squer, Directeur Général de la Fondation Pour l’Audition.
La Fondation Pour l’Audition, reconnue d’utilité publique en 2015, agit pour les enfants, les femmes et les hommes concernés par une surdité ou malentendance. À travers des collaborations, synergies, dispositifs et campagnes de sensibilisation, elle œuvre au quotidien pour faire avancer la cause de la santé auditive. Ava a rencontré son Directeur Général : M. Denis Le Squer. Pour nous, il évoque la genèse de la fondation, ses raisons d’être et ses grands chantiers. La fondation porte l’espoir d’un monde où « la surdité ne serait plus un sujet ».
Ava - Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Denis Le Squer, Directeur de la Fondation Pour l’Audition depuis 2 ans. En effet, j’ai pris ces nouvelles fonctions en juin 2020. Auparavant, j’avais travaillé dans le milieu associatif en tant que contrôleur de gestion pour l’association AIDS, directeur financier pour l’association Arcade Sida puis président du directoire de la Fondation pour la Recherche Médicale durant 16 ans.
Ava - Pouvez-vous nous parler de la genèse de la Fondation Pour l’Audition, de sa mission et des valeurs qu’elle défend ?
La genèse de la fondation
En 2010, sous l’impulsion de Françoise Bettencourt Meyers, Jean-Pierre Meyers et la Fondation Bettencourt Schueller, trois chirurgiens ORL créent une association de préfiguration. Ce projet émerge d’une rencontre entre des chirurgiens, des personnes concernées et la famille Bettencourt-Meyers. L’association de préfiguration est aujourd’hui devenue la Fondation Pour l’Audition.
« C’est une rencontre qui a impulsé la création de la fondation. »
La mission de la fondation
La Fondation Pour l’Audition souhaite créer des synergies pour faire progresser la cause de la santé auditive et aider les personnes sourdes, les malentendants et leurs proches à mieux vivre au quotidien.
Elle veut faire converger la recherche, l’accompagnement des personnes sourdes ou malentendantes et la prévention. Chaque action représente une partie de la solution afin d’assurer aux personnes sourdes ou malentendantes, à tout moment de leur vie, une égalité des chances en matière d’éducation, d’accès aux soins, à la culture et dans le milieu professionnel.
Notre fondation agit pour les enfants, les femmes et les hommes concernés par une surdité ou malentendance :
- Pour les aider à bien vivre au quotidien, dès la naissance et tout au long de la vie ;
- Pour favoriser leur intégration dans la société, en leur garantissant l’égalité des chances ;
- Pour que ceux et celles qui le souhaitent puissent bénéficier des meilleures solutions thérapeutiques ;
- Pour prévenir les risques en informant et sensibilisant ; proposer des solutions adaptées pour que chacun puisse devenir acteur de sa santé auditive.
Ses actions sur le terrain : 3 exemples
L’héritage scientifique de la fondation en fait un organisme imprégné d’une culture « de terrain », concrète et positive. Cet engagement s’illustre à travers trois ambitions :
- soutenir la recherche scientifique et médicale ;
- éveiller les consciences ;
- briser les tabous et changer le regard porté sur les sourds, les malentendants et leurs proches.
Ava - Comment s’illustrent concrètement ces trois ambitions ?
En soutenant la recherche scientifique et médicale, nous souhaitons accélérer l’expansion du domaine et imaginer des innovations de rupture. Nos actions sont très pragmatiques : nous soutenons des chercheurs français à travers les différents Appels à Projets scientifiques et médicaux. Nous avons aussi soutenu la création de l’Institut de l’Audition, un centre de l’Institut Pasteur crée en mars 2020. De sa conception à sa mise en œuvre, nous l’avons accompagné.
Dans un second temps, nous sensibilisons le grand public sur la fragilité du capital auditif et sur l’importance d’en prendre soin. C’est un sujet essentiel pour nous. Ainsi, la fondation a créé l’application HÖRA, qui permet à chacun de s’auto-tester et de suivre son capital auditif en complément aux examens ORL. Ce n’est pas un gadget, mais une application très précise et scientifiquement validée. Elle permet d’être alerté si l’une des oreilles a une perte auditive, par exemple.
Nous avons aussi conçu D’Sybel, un kit pédagogique pensé avec les enseignants et totalement accessible sur le site internet de la Fondation Pour l’Audition. D’Sybel permet de sensibiliser les élèves du CP au CM2 au bruit, à l’audition et au capital auditif, grâce à des quiz et des outils très ludiques. L’application a été déployée en septembre 2020. Au départ, c’était un kit papier envoyé aux écoles primaires, mais face à l’intérêt suscité par D’Sybel, nous l’avons dématérialisé afin que chacun puisse l’utiliser en milieu scolaire.
C’est essentiel que les enfants soient vecteurs de messages à la maison, ils participent au développement de l’éducation à la santé. À la fondation, de multiples sujets ont tout d’abord existé sous forme d’expérimentations, puis, forts de leurs succès, se sont généralisés.
« Le challenge pour la Fondation Pour l’Audition, c’est la généralisation. »
Dernier exemple de projet : en 2019, la fondation a travaillé avec l’ENSCI Paris pour imaginer un espace ludique et reposant, au sein des festivals. L’idée ? Offrir une zone de repos auditif aux festivaliers et les éloigner des enceintes.
Le Totem en 2019, constitué d’un enchevêtrement de pneus recouverts de tissus, n’était pas un dispositif de prévention. Il a évolué pour devenir, en 2021, le dispositif RelaxSon. Diffusé lors du festival Chorus, il permettait aux spectateurs de faire de la balançoire tout en écoutant des bandes-son liées aux quatre éléments : l’air, l’eau, le feu et la terre. Puis, la fondation a souhaité relier le dispositif à l’application Höra.
En 2022, lors du festival Vyv d’Harmonie Mutuelle, on a complété le dispositif en incitant les festivaliers à télécharger Höra. Nous sommes partis du principe qu’on peut diffuser des messages de prévention et inciter les festivaliers à réaliser des auto-tests auditifs lors de l’évènement. Ce matériel simple peut être mis à disposition d’évènements, mais aussi d’espaces publics bruyants (gare, centres commerciaux, magasins).
La façon dont nous avons avancé sur ce sujet est importante. Au début, nous avions pensé à de simples espaces de repos auditif puis le dispositif s’est généralisé, jusqu’à créer des outils grand public à large diffusion. Ceci est valable pour beaucoup de sujets à la FPA.
« L’un des sujets qui nous mobilisent est : comment créer un essaimage de nos sujets ? Comment générer une visée plus large de nos actions ? »
Le troisième volet de nos actions est l’amélioration du quotidien des personnes sourdes ou malentendantes à chaque étape de leur vie. C’est un sujet majeur, il s’agit de voir : comment mieux intégrer ces personnes dans notre société, à chaque étape de leur vie ? Comment jouer un rôle sans se substituer ?
Nous intervenons à chaque étape clé de leur vie : la naissance, la petite enfance et la découverte de la surdité, l’apprentissage en milieu scolaire, l’intégration professionnelle ou le maintien d’autonomie à domicile ou en établissement quand on est senior. Aujourd’hui, ce n’est pas encore une réalité en milieu scolaire ou professionnel, pour des raisons, souvent, d’accessibilité.
« Notre but : que les personnes sourdes soient mieux comprises et intégrées dans la société. »
Nous souhaitons trouver de meilleures solutions thérapeutiques pour celles et ceux qui le souhaitent. Notre vocation n’est pas de fabriquer, demain, un monde exclusivement constitué d’entendants. Les différences de parcours et de choix nous intéressent, nous travaillons avec cette pluralité.
Ava - Comment avez-vous rencontré Ava ? Quelles valeurs la Fondation Pour l’Audition et Ava partagent-elles ?
La rencontre avec Ava
Nous avons rencontré Thibault Duchemin, fondateur d’Ava, en 2017 pour qu’il nous présente sa solution. Nous avions besoin de comprendre quelles étaient les ambitions et développement en cours de la solution. Nous avons ensuite utilisé Ava lors d’évènements, notamment l’option Scribe.
Nos valeurs communes
Nos deux structures participent au changement de regard sur la cause auditive. On souhaite dire que : « c’est possible ! ». « Ava est au cœur de cette innovation qui participera demain au changement de regard de la société sur l’inclusion des personnes sourdes ou malentendantes. »
Selon moi, nous partageons 4 valeurs essentielles :
1. l'excellence. En réunissant les meilleurs talents autour de la cause de l’audition, Ava et la Fondation Pour l’Audition s’engagent à faire preuve d’excellence.
2. l’exemplarité. En montrant l’exemple, on peut parvenir à construire une société plus inclusive.
3 & 4. L’écoute et le partage : à la fondation nous croyons au génie du collectif. Ce sont des rencontres (chercheurs, techniciens, individus) qui ont fait émerger la Fondation. Nous ne sommes pas, nous-mêmes en tant que personnes, au cœur du sujet. Il me semble qu’Ava participe à la même dynamique.
Ava - Nous travaillons régulièrement avec Rose Paynel, une influenceuse qui a intégré votre programme de mentorat. Pouvez-vous m’en dire plus sur la manière dont la Fondation Pour l’Audition encourage la promotion d’étudiants sourds ou malentendants ?
Les étudiants sourds ou malentendants sont peu nombreux. Ils n’ont pas toujours la possibilité de faire un vrai choix dans leur cursus d’études.
Notre programme de soutien et d’accompagnement des étudiants vise deux objectifs :
- rendre leurs études plus agréables ;
- renforcer leur connaissance du monde professionnel pour augmenter leurs chances de s’insérer sur le marché du travail.
Nous offrons 3 types d’accompagnement :
- un programme de mentorat réalisé en collaboration avec l’association Article 1. En fonction de la surdité et du cursus, le mentor suit le rythme de l’étudiant.e et échange avec lui/elle au fil de l’année ;
- l’appartenance à une promotion d’étudiants qui coordonne des ateliers, des échanges et des interactions sur l’accessibilité. D’ailleurs, Ava y avait fait une présentation en 2022. Les ateliers portent sur des thèmes variés : confiance en soi, préparation d’un CV, rédaction de lettres de motivation, entretiens. Nous faisons notre maximum pour augmenter leurs chances de réussite durant leurs études.
- l’accès à un réseau professionnel précieux.
Ava - Quels sont les grands chantiers et les objectifs de la FPA ? Comment imaginez-vous son avenir ?
Il est difficile de se prononcer à ce sujet. Nous sommes dans une phase de bilan et nous apprêtons à établir la feuille de route. À la fondation, on s’interroge sur ces 3 domaines d’action : recherche, prévention et amélioration du quotidien des personnes sourdes et malentendantes.
« L’environnement change, la santé auditive sera peut-être un enjeu majeur demain. »
Avec l’application Höra, on aimerait que des auto-tests auditifs soient systématiques à partir de l’âge de 45-50 ans. L’idée serait que toute la population française reçoive un courrier pour l’inciter à tester son audition. Puis l’initiative grandirait à une plus grande échelle.
Un autre projet nous mobilise : en novembre prochain, nous déposerons un dossier afin d’encourager la création d’un Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) dans le domaine de l’audition.
En fonction de ces avancées, nous adapterons nos politiques d’intervention. On pourra juger de notre efficacité quand :
- La surdité ne sera plus un tabou ;
- tout le monde se sentira concerné par sa santé auditive ;
- on saura comment communiquer avec une personne sourde ou malentendante ;
- la fondation aura contribué à des découvertes scientifiques majeures, des innovations de rupture ;
- les personnes sourdes n’auront plus à faire des choix (éducatifs ou professionnels) en pensant que ce n’est pas pour eux
« On ne devrait pas faire un choix en fonction de sa surdité, mais en fonction de ses envies. »
Ava - Un mot de la fin ?
À la Fondation Pour l’Audition, nous n’avons aucunement la prétention de nous dire que nous y arriverons seuls. Nous avons besoin de la participation active des acteurs concernés. Nous pouvons, certes, aider à faire connaitre, mais nous n’y arriverons que collectivement !