"Déconstruire les préjugés sur le handicap pour permettre la rencontre."
Ava - Bonjour Deza Nguembock, qui êtes-vous ?
Je suis Deza Nguembock. Je suis une femme noire et handicapée.
Lorsque j’ai fini mes études, j’ai décidé, en toute transparence, d’intégrer la mention “travailleur handicapé” sur mon CV. Résultat ? J’ai attendu, en vain, qu’un recruteur me contacte.
Au bout de quelques mois, j’ai supprimé cette mention. C’est alors que mon téléphone s’est mis à sonner en continu. J’ai alors pris conscience du fait que le handicap est un problème majeur de société. C’est ainsi que j’ai commencé à réfléchir sur la façon d’aider la société à faire évoluer la prise en compte des personnes handicapées. Faire évoluer le regard social sur le handicap et les personnes handicapées, c’est ce que je fais depuis toujours.
En 2005, j’ai commencé à entreprendre avec une association artistique, puis en 2011, avec une agence de communication hybride et engagée, au service de l’inclusion. Avec les conséquences de la crise sanitaire, l’agence a fermé ses portes, me laissant l'opportunité de me recentrer uniquement sur ma mission d'intérêt général à travers le fonds de dotation AHADI que je viens de créer.
Ava - Concernant les préjugés, quels sont les 3 préjugés qui reviennent le plus souvent sur le handicap ?
Les préjugés sont très culturels, très ancrés, à l’image d’un héritage social sur lequel il faut agir sans relâche.
- Les personnes handicapées sont incapables
- Les personnes handicapées n'ont pas de vie sexuelle
- Les personnes handicapées ne peuvent pas être heureuses.
Pour être efficace dans la durée, il faut modifier les préjugés. C’est évident que nous avons tous des préjugés, dans notre milieu culturel et dans notre environnement immédiat. C’est normal et “humain”.
❝ L’objectif ? Pouvoir déconstruire les préjugés pour permettre la rencontre ❞.
Souvent, la personne handicapée n’est définie qu’à travers sa déficience. Comme si elle pouvait ne se résumer qu’à son handicap. Pourtant, aujourd’hui, on dispose d’outils qui compensent le handicap. Une fois que la déficience est compensée, le regard sur la personne handicapée change et devrait changer naturellement. La réalité de la personne handicapée efface les préjugés.
Par exemple, je travaille depuis des années à la sensibilisation d’étudiants dans les &écoles de communication et de publicité. Quand ils font partie de classes où il n’y a pas de personnes handicapées, ils ne connaissent pas la réalité du handicap. Pourtant, à partir du moment où on les informe sur le handicap et ses conséquences, leur comportement change. J’ai beaucoup d’espoir en la jeunesse. Je continue à m’engager notamment en raison des retours que me font les étudiants.
Ava - Et sur le handicap auditif, quels sont les préjugés habituels ?
Concernant le handicap auditif, on entend souvent dire que les personnes sourdes ou malentendantes “vivent dans leur bulle”.
Pourtant, nous habitons tous le même monde… Nous devons partager nos ressources pour offrir aux uns et aux autres un même accès à l’information.
Chaque minute, chaque seconde, les personnes sourdes ou malentendantes doivent se battre pour comprendre ce qui se dit autour d’elles. C’est source d’une effroyable perte d’énergie au quotidien. Pourtant, il ne s’agit “que” d’une question d’accessibilité dans ce cas.
Il faudrait aussi sensibiliser la société sur les postures et comportements à adopter face à une personne sourde. En effet, lire sur les lèvres d’un moustachu, c’est compliqué !
Ava - Notre solution Ava soutient fortement l’emploi et l’inclusion des personnes sourdes ou malentendantes en entreprise. Quels sont vos constats sur les évolutions sociales et sociétales liées à ce sujet ?
Tout d’abord, je salue les efforts des start-up qui travaillent d’arrache-pied pour trouver des solutions pour compenser les déficiences des personnes handicapées. Je suis très heureuse de voir un mouvement global aller dans ce sens, même si ce mouvement est très lent. On sait qu’une fois la dynamique lancée, il devient difficile de l’arrêter.
D’autre part, je constate la prise de conscience qui se fait au sein des entreprises. On reconnaît, aujourd’hui, les compétences des personnes handicapées, malgré leurs différences. On comprend que leurs différences peuvent enrichir les stratégies d’entreprise et les fonctionnements internes.
❝ Les innovations générées pour répondre aux besoins des personnes handicapées renforcent l’ensemble du collectif de travail ❞.
Je suis très optimiste pour la suite, au vu des starts-up qui travaillent sur l’innovation au quotidien, mais aussi vis-à-vis de la prise de conscience croissante des entreprises qu’une politique d’inclusion n’est pas qu’un respect des quotas.
Ava - Avez-vous une actualité ou un coup de coeur à partager ?
Oui. En cette rentrée, mes chevaux de bataille sont :
- amplifier mon travail de transformation des perceptions du handicap et des personnes handicapées ;
- agir pour la promotion de l’accessibilité universelle ;
- contribuer à développer le leadership chez les femmes handicapées.
Il faut savoir qu’en 2023, 50 % des adultes handicapés sont dans une situation d’extrême pauvreté. Le handicap expose encore plus les individus en général, et particulièrement les femmes à l’exclusion sociale, à une extrême précarité et à l’isolement. Cela signifie que la société a échoué quelque part, dans sa mission de permettre à chacun de trouver sa place en son sein.
Ce n’est pas acceptable de ne rien changer, de ne pas agir pour rééquilibrer cette extrême injustice. Si on disposait d’un baromètre des 10 dernières années, indiquant le niveau d’évolution de carrière des travailleurs handicapés, on constaterait que très peu d’entre eux ont réellement évolué. Ces braves gens, déjà reconnaissants d’avoir trouvé un emploi, ne réclament rien.
Je m’interroge : où travaillent les personnes handicapées, recrutée pour remplir les quotas, dans l’entreprise ? Ont-elles un plan de carrière leur permettant de gagner correctement leur vie ? De prendre l'ascenseur social et ne pas rester dans des postes placards qui, pour la plupart, n'ont pas vocation à évoluer ?
La question de l’accessibilité universelle rejoint toutes ces réflexions. Si on propose à des personnes handicapées de travailler, mais qu’elles ne peuvent pas se déplacer pour aller au travail en toute autonomie, on crée de la frustration et on passe à côté de l’essentiel.
Aujourd’hui, il faudrait que les personnes handicapées prennent leur destin en main et entreprennent.
J’aimerais développer l’entrepreneuriat pour les femmes en situation de handicap en France, mais aussi dans des pays en voie de développement. Cela passera par :
- ouvrir le champ des possibles
- révéler et développer leur potentiel
- accroître leur influence
- promouvoir l’entrepreneuriat et non pas l’auto-entrepreneuriat.
Sur le volet “perceptions”, je vais travailler avec une dizaine d’artistes tous les ans. À travers des expositions itinérantes et internationales, je vais les faire réfléchir, grâce au biais artistique, à la place des personnes handicapées dans notre société. Leur regard sera multiculturel et pluridisciplinaire.
La première exposition concernera la place des femmes handicapées dans nos sociétés. Elle sera inspirée du parcours de la célèbre peintre Frida Kahlo et de mon histoire personnelle.
De Frida à Deza sera présentée en décembre prochain, à l'occasion de la journée internationale des personnes handicapées. Elle permettra d'inaugurer le fonds AHADI, mot qui signifie promesse en Swahili.
Ava - Un mot de la fin ?
Il y a toujours à s’enrichir les uns des autres.