Entretien avec Nathalie Birault, créatrice sourde et fondatrice de Odiora
Ava - Bonjour Nathalie Birault, qui êtes-vous ?
Créatrice lyonnaise passionnée, je propose des produits innovants pour faciliter le quotidien des malentendants, car je suis moi-même sourde et bi-implantée cochléaire. À travers différentes formes, je souhaite créer plus de lien entre les entendants et les malentendants.
Ava - Avant de créer votre entreprise Odiora, quel a été votre parcours de vie ? Racontez-nous.
Oh my (d)ear !
On a découvert ma surdité à 12 ans, en pleine adolescence, alors que je commençais à apprendre l’anglais. Comme je n’arrivais pas à répéter et à prononcer les mots anglais, mes parents sont allés consulter un ORL et le verdict est tombé : « Votre fille a un taux de 70 % de perte d’audition. Elle ne fonctionne presque qu’avec la lecture labiale.» Il préconisait pourtant de me laisser me débrouiller sans aucune aide auditive… puisque j’avais réussi à le faire jusqu’à ce moment-là !
Cette phase de ma vie a été très difficile, pleine d’incompréhensions, de frustrations et de moqueries de la part des professeurs et des camarades de classe.
La révélation des appareils auditifs
Suite à cette première consultation, mes parents sont allés voir d’autres spécialistes, notamment à l’hôpital américain de Paris. On leur a dit qu’il fallait m’appareiller rapidement pour m’aider au quotidien et éviter que la surdité empire. Après la pose des appareils auditifs, beaucoup de choses ont changé pour moi.
❝ J’ai découvert certains sons à l’âge de 12 ans. ❞
Les craquements du parquet dans l’appartement haussmannien de l’ORL ou l’huile sur le feu qui crépite ont été de vraies révélations ! Je les découvrais pour la première fois avec un émerveillement mêlé à de la curiosité.
Ava - Comment s’est passé votre scolarité ? Puis votre vie professionnelle ?
Le défi d’étudier dans un environnement entendant
Après la découverte de ma surdité, on m’a proposé d’aller dans des écoles spécialisées pour les personnes sourdes et malentendantes. J'ai beaucoup réfléchi avant de faire mon choix : j'avais envie de rester avec mes amis entendants à l’époque car je ne connaissais personne d’autre comme moi. Avec ma famille, on venait juste de déménager à Lyon et je voulais à tout prix essayer de m’adapter au collège dans un milieu ordinaire.
En cours, j’avais de la peine à comprendre tout en prenant des notes. C’était loin d’être facile. Si j’avais connu Ava à cette époque, ça aurait été tellement plus simple !
A
Ava Scribe, la solution d’accessibilité pour les étudiants sourds ou malentendants
De même, j’ai eu du mal à inciter les professeurs à s’adapter à mon handicap invisible. Ils ne comprenaient pas qu’il y ait un petit décalage entre le moment où ils parlaient et le moment où je comprenais. À force de volonté et de travail, j’ai tout de même réussi à obtenir mon bac scientifique ! À cette époque, je voulais exercer le magnifique métier d’... audioprothésiste.
Malheureusement, je n’ai pas pu m’inscrire à l’université pour effectuer ce cursus : on estimait que mon handicap ne me le permettrait pas. D’autres vocations que j’ai eues ont été “contrariées” : météorologue, laborantine, etc.
Enfin, j’ai fini par m’inscrire à l'Ecole des Beaux-Arts en communication visuelle. J’y ai développé une certaine sensibilité à l’esthétique et au sens d'une oeuvre. Ces 5 années d’études ont été vraiment sublimes !
Des expériences salariées qui finissent en burn-out
J’ai occupé un poste au sein d’une compagnie d’assurances. D’abord placée dans les archives, j’ai évolué en tant que chargée de communication interne du groupe. C’était une belle expérience : ça a duré 6 mois. Malgré la mise en place réussie d’une web tv, on a choisi un autre profil pour occuper ce poste en CDI. Une femme en situation de handicap, ça n’allait pas…
Ensuite j’ai eu la mission d’harmoniser le site internet du groupe. J’étais placée en open space. Bien que mon téléphone soit adapté, il n’avait pas de sous-titres et il y avait beaucoup de bruit autour de moi. Mon téléphone sonnait trop fort et je dérangeais mes collègues dans l’open space. En parallèle, ma surdité a progressé. Mes appareils auditifs surpuissants ne suffisaient plus à compenser ma perte auditive et à force, j’ai fini par faire un burn-out.
Un appareillage bionique
Durant mon burn-out, j’ai réfléchi. Depuis vingt ans, mon audioprothésiste me recommandait de faire le choix des implants. De mon côté, les risques liés à l’implantation me faisaient terriblement peur : paralysie faciale, déséquilibre sensoriel, etc. Alors, durant l’année 2015, j’ai voulu rencontrer d’autres personnes qui avaient fait ce choix. J’ai constaté que de nombreux progrès avaient eu lieu ces dernières années et j’ai finalement passé ce cap. En juin 2015, je me suis fait implanter les deux oreilles en même temps. Je savais que si je n’avais fait qu’une oreille je n’aurais jamais fait la deuxième (rires).
Il faut compter 6h d’opération au cours de laquelle on vous place des électrodes dans la boîte crânienne. Esthétiquement parlant, c’est dur à accepter. Ceci dit, je suis vraiment passée du monde malentendant au monde sourd après l’opération. Si j’ai mes implants, j’entends. Si je ne les ai pas, je n’entends rien du tout. C’est comme activer un mode on/off.
Ava - Y a-t-il eu un élément déclencheur à la création d’Odiora ?
Un jour, j’ai fait un voyage à Tahiti et suis tombée amoureuse de cette culture. Là-bas, les habitants utilisent les fleurs comme outil de communication.
Portrait de Nathalie Birault, voyage à Tahiti en 2000
❝J’ai rêvé de parler de ma surdité avec autant
d’élégance qu’une fleur ornant l’oreille. ❞
Avec ces gros implants aux oreilles, je me suis demandé : comment moi-même, réussir à les accepter ? J’ai commencé à fabriquer mes premiers bijoux en forme de fleurs.
Le vrai déclic pour lancer Odiora a été la rencontre d’une petite fille en 2015. Je portais ce bijou-fleur à mon oreille et elle semblait beaucoup l’aimer. Je l’ai donc posée sur son appareil auditif et à ce moment-là, je l’ai vue s’épanouir totalement. Elle s’est redressée, m’a regardée avec plein d’étoiles dans les yeux et a couru dans toute la pièce pour montrer fièrement ses nouvelles oreilles aux adultes !
C’est à ce moment-là que j’ai compris que ce n’était pas juste un bijou mais un élément qui pouvait redonner confiance en soi. Un allié pour rencontrer les autres, communiquer sur sa surdité autrement et affronter ses peurs, ses complexes.
Je me suis dit que ça pourrait aider de nombreuses personnes. J’ai eu envie de communiquer sur ce handicap de manière positive, créative et bienveillante. Pour adoucir le regard que je posais moi-même sur la prothèse et adoucir le regard des autres sur nous.
Quand j’accroche mes cheveux et que mes appareils sont visibles, je vois bien que le regard des autres change.
Hibiscus - bijou auditif Odiora
❝ Quand je porte un de mes bijoux, les personnes autour de moi,
ne voient que le bijou pas l'appareil auditif. ❞
Ava - Comment a été créée Odiora ? Quel est le “pourquoi” de cette entreprise ?
En 2016 , j’ai créé Odiora. La marque ressemble à un mot tahitien qui veut dire : “Bonjour”. Pour moi, il signifie : “Bonjour et bienvenue dans le monde des malentendants.”
Lors de ma création d’entreprise, Cap Emploi m’a dirigée vers un organisme spécialisé dans la création d’entreprises pour personnes en situation de handicap. J’ai commencé à me former à la création de business plan, j’ai fait mes premiers marchés et me suis rapprochée du Village des Créateurs à Lyon. J’ai également cherché des financements pour grandir et me développer. Un incubateur spécialisé dans l’ESS (Economie Sociale et Solidaire) : Ronalpia, m’a aidée à construire mon modèle économique.
J’ai eu envie, au-delà de son aspect esthétique, de donner encore plus de sens à mon bijou. Je voulais qu’il valorise les personnes en situation de handicap dès la confection de la première perle. J’ai donc eu l’idée de former les personnes en situation de handicap à l’artisanat d’art. Je me suis rendu compte que dans les ESAT et EA, les travailleurs sont assez isolés et sont souvent cantonnés à des tâches répétitives et peu valorisantes.
Je suis convaincue des compétences de chacun. J’ai donc eu l’idée de former les personnes en situation de handicap à l’artisanat d’art. Je leur propose de développer de nouvelles compétences en milieu ordinaire, en adaptant mon atelier. Nous travaillons la concentration, la motricité fine et un peu l'estime de soi grâce aux composant délicats et précieux des bijoux. J’ai décidé de les intégrer pleinement au projet d’Odiora.
Je conçois mes bijoux de manière à ce qu’il soient réalisables par mes petites mains attentives. C’est une magnifique aventure humaine !
Ava - Comment expliquez-vous la fatigue liée à la perte auditive au quotidien ?
Je dois déployer beaucoup de concentration pour effectuer une lecture labiale : par exemple, quand je lis sur les lèvres, j’ai tendance à moins cligner des yeux. Même chose pour la lecture des sous-titres. Comme il y a des micros décalage entre le direct “sonore” et le direct “lu”, cette routine peut générer du stress.
Ava, une solution d'autonomie totale pour les personnes sourdes ou malentendantes
Sans compter que tout au long de la journée, le cerveau doit se concentrer pour faire la part des choses entre ce qu’il veut entendre - juste la voix par exemple - et le bruit ambiant. C’est fatigant. En revanche, l’Intelligence artificielle présente dans certains nouveaux appareils auditifs permet de filtrer les sons parasites et de se concentrer uniquement sur la voix et ça, c’est assez magique !
Ensuite, j’ai mes propres “ sons internes “ : je subis beaucoup d’acouphènes et ça produit une sorte de musique “tecktonik” 24h/24 et 7j/7. Si un entendant faisait l’expérience d’avoir toujours une radio sur lui avec de la tecktonik en fond sonore, il réaliserait la douleur que ça provoque et l’importance de la concentration (lire notre article sur la fatigue auditive).
C’est quelque chose qu’on ne voit pas, qu’on ne peut pas imaginer.
Ava - Aujourd’hui, selon vous, quelles sont les actions concrètes sur le territoire français qui font avancer l’inclusion et l’autonomie des personnes sourdes et malentendantes ?
Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que ce soit tout accessible. J’aimerais que l’appareil auditif soit aussi tendance qu’une paire de lunettes ! Qu’on choisisse sa parure de bijou comme on donnerait une petite touche de style à sa garde-robe. C’est ce que j’essaie de faire avec Odiora.
❝ J’aimerais qu’on aille aussi facilement chez
l’audioprothésiste que chez l’opticien. ❞
Je trouve qu’une solution telle que Ava est magnifique : j’aurais aimé avoir cette possibilité de retranscription et prise de notes durant mes études (voir notre article sur la solution Ava Scribe). Car le grand défi des personnes sourdes et malentendantes est de ne pas être isolées, de continuer à être dans la vie. Surtout lorsqu’on devient sourd au cours de sa vie. C’est un changement majeur.
Le 100 % santé a également révolutionné l’accès à l’appareillage. Durant le confinement, l’expérience du masque a permis à certaines personnes de réaliser qu’elles avaient une perte auditive. Les outils de communication pour les personnes sourdes et malentendantes : boucles magnétiques et sous-titres tv même en replay, sont également de bonnes nouvelles !
Un mot de la fin ?
Apprenons à vivre ensemble et à (re)créer du lien, car c’est ensemble que nous pourrons être plus forts !
Maëva - bijou auditif Odiora
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