On m’a proposé des textes en braille !
Ava - Bonjour Thanh Lan, peux-tu te présenter ?
Je suis malentendante depuis l’âge de 12 ans, donc je parle très bien et n’ai aucun “accent”. Ma surdité s’est développée petit à petit, au fil du temps. Comme j’étais jeune, je me suis bien adaptée. On s’est rendu compte que je perdais l’audition… par hasard !
Un jour, j’ai fait une chute de cheval suite à laquelle j’ai commencé à avoir des malaises et des vertiges. C’est en allant voir un ORL que mes parents adoptifs ont constaté ma perte d’audition. J’ai perdu mon audition petit à petit et aujourd’hui, je suis sourde profonde. Si mon chien ne m’avertissait pas que quelqu’un sonne, je laisserais les gens attendre, comme ça, devant la porte… (rires)
Ava - Comment se sont passées tes études ?
Un aller-retour en droit
J’avais envie de devenir avocate ! J’ai donc commencé des études de droit, mais c’est rapidement devenu compliqué. Pour suivre les cours en amphi, il fallait que je fasse brancher mon appareil par un technicien à chaque fois. L’intervenant se situait parfois trop loin alors je ne devais pas bouger d’un seul millimètre. On a beau l’expliquer aux enseignants, en réalité :
"Un être humain a du mal à se souvenir qu’il ne doit pas faire 3 fois le tour d’une pièce."
Les professeurs bougeaient tout le temps et je n’arrivais plus à suivre… J’avais le tournis à la fin ! (rires)
Au bout d’un moment, ce n’était plus possible. J’ai réalisé que je ne pourrais pas travailler dans un tribunal. Mon but était d’être avocate, mais je me suis rendu compte que je n’y arriverais pas : un tribunal, ce n’était pas adapté pour moi. Trop difficile, je ne signe pas.
Je suis un peu têtue quand même donc il a fallu aller jusqu’à la licence pour m’en rendre compte (rires). Une anecdote assez drôle en passant : un jour, à la fac, on m’a proposé un livre… en braille ! La surdité, c'est vraiment un handicap méconnu. Les gens sont pleins de bonne volonté, mais parfois ils visent complètement à côté.
Une plongée illimitée dans le code
Alors que j’étais sur internet, j’ai vu une annonce sur internet pour me former en code et j’ai eu envie d’y aller ! Bien qu’à ce moment-là, je poursuivais mes études de droit, j’ai aimé l’idée de savoir faire des sites internet. C’est quand même assez génial !
J’ai pensé : “allez, on y va, on fonce ” ! En mode yolo, on n’a qu’une vie, c’est l’histoire d’un été et de toute façon, ça ne sera jamais perdu ! Suite à cette formation, on m’a immédiatement proposé des missions freelance.
"J’ai mis le droit en standby et j’ai codé pendant 2 ans."
Ava - Et ensuite ?
Le souci, c’est que j’étais malade. Ce qui a causé ma perte d’audition est lié à d’autres problèmes de santé qui sont devenus plus nombreux avec le temps. Maintenant, je suis en fauteuil roulant, ma condition s’est détériorée progressivement. J’ai reçu le diagnostic de cette maladie dégénérative il y a tout juste quelques mois.
Comme j’ai des soucis de poumons, je suis sous oxygène une partie du temps. C’était difficile à gérer avec la formation. Pendant un an je n’ai plus du tout codé. Mais… comme c’est impossible pour moi de rester à ne rien faire, j’ai de nouveau suivi une autre formation dans le code ! J’ai tendance à aller là où le vent me mène (rires).
On a décidé que ce serait mieux que je me mette en télétravail. J’ai été hospitalisée durant 1 mois ½ pendant lequel j’ai suivi la formation tous les jours, sauf pendant les 3 jours d’opération.
"À l’hôpital, je me suis formée tous les jours sauf…dans la salle d’opération !"
J’ai été hospitalisée 20 fois en réanimation en 3 ans. Cette maladie est une pathologie lourde. En même temps, je suis hyper fière et contente de me dire que : même en étant malade, je ne suis pas définie par ma maladie. J’ai quand même une vie “normale”, un travail “normal”. On ne peut pas tout ramener au handicap.
Ava - Comment Ava t’aide dans ton quotidien ?
"J’ai découvert Ava durant ma recherche d’emploi. Ça a été une grande aide pour moi, car comprendre quelqu’un qui parle l’autre bout de la pièce avec un micro défectueux, ça dépasse le texte à trous : ça devient franchement compliqué !"
Ava améliore la compréhension, surtout quand je passe de la langue française à l’anglais. Les sous-titres natifs, dans ce cas, ont du mal “à suivre”. Il faut toujours les reprogrammer pour qu’ils soient dans la bonne langue.
Quand je regarde des ressources, ce sont principalement des contenus anglophones. Les vidéos sont systématiquement en anglais puisque dans l’informatique, c’est la langue qu’on utilise le plus. Et c’est parfois difficile à suivre quand on a des problèmes d’audition. De même, les conférences en temps réel sont, en règle générale, moins sous-titrées que les autres.
❝ J’utilise surtout Ava pour sous-titrer les vidéos ou les conférences. ❞
Par exemple, les professionnels indiens créent de super tutos informatiques, mais ils ont un gros accent et la lecture labiale peut devenir critique pour moi. Ava résout ce problème ! Les outils de sous-titrages, ça m’aide à ne pas être concentrée tout le temps, à 200 %. C’est moins fatigant que de me demander en permanence : “euh… ils ont dit quoi les gens là ?”
En principe, je comprends assez bien ce qui se passe, mais ça me demande de puiser en moi une énergie considérable ! Il faut être hyper concentrée sur tout ce qui se passe. Et le code, ça demande aussi de l’énergie : il faut être “focus” sur les moindres petits détails. Finalement, au bout d’une journée, j’ai l’impression d’être passée sous un camion (rires) ! "L’avantage d’avoir des sous-titres au boulot ? C’est super reposant. "
En ce moment, je travaille en alternance chez Axa en tant que machine learning ingénieure. Je m’occupe de la mise en production de solutions qui intègrent de l’Intelligence artificielle.
Au quotidien, on a énormément de réunions. Sans sous-titres, j’aurais du mal à survivre à des demi-journées de réunions en visios. C’est toujours très fatigant (lire notre article sur la fatigue auditive). En tant que personne en situation de handicap, je trouve ça important de sensibiliser autour de soi aux aides existantes. Je ne suis pas la seule dans ce cas-là !
"Ava au travail, c’est très confortable ! J’en parle autour de moi, car je ne suis pas la seule à en avoir besoin."
Ava - Y a-t-il un avantage à travailler dans le milieu de l’informatique ?
C’est assez génial de bosser dans ce secteur, parce qu'une partie des handicaps sont gommés par la nature de notre travail. En effet, je suis en fauteuil roulant, mais je ne vois pas beaucoup de collègues bosser debout ! On a aussi un accès facilité à des outils qui compensent le handicap.
Donc, je suis un peu “comme tout le monde” et je trouve ça agréable. En ce moment, je commence à ressentir quelques douleurs, ainsi, je bénéficie d’un aménagement de poste, mais en soi, je bénéficie de très peu de différences de traitements.
Par exemple, mon temps de travail n’est pas aménagé, car nous avons déjà droit, avec mon équipe, à 3 jours de télétravail/semaine.
"La fatigue c’est le nerf de la guerre."
Or si je suis fatiguée, je vais moins bien comprendre et tomber plus souvent malade…. C’est précisément à ce moment-là qu’on va s’apercevoir que je suis handicapée et que j’ai des soucis de santé.
Ava - Concernant la surdité à quels préjugés as-tu souvent été confrontée ?
Je pense surtout au préjugé le plus bizarre que j’ai vu de ma vie. Un jour à la fac : on m’a proposé des livres en braille ! C’est là que j’ai réalisé que la surdité était vraiment un handicap méconnu.
Les gens sont pleins de bonne volonté, mais parfois ils visent totalement à côté…
Plus globalement, j’aimerais participer au Dev Fest, une conférence technique destinée aux développeurs. Je suis en train de rédiger un pitch sur le fait d’être développeuse en situation de handicap. Comment ça se passe au quotidien ? Quels enseignements peut-on en tirer ? Ce sera ma manière de montrer que le handicap recoupe une multitude de situations différentes.
Ava - Peux-tu partager 3 bonnes pratiques pour agir au mieux avec une personne sourde ?
Voici mes conseils :
1 - Privilégier les mails. On pense souvent qu’une communication orale suffit, or un compte rendu par mail, c’est vite fait et ça bénéficie à tout le monde ! "J’aime l’idée que l’accessibilité profite à tout le monde".
2 - Avoir une solution de sous-titrages telle qu'Ava, c’est top ! Les sous-titrages “classiques” ne nous conviennent pas. Par exemple, dans un film, quand on toque à la porte, je ne peux pas le deviner ! (rires) Notre handicap comporte une spécificité et doit être compensé par des logiciels spécifiques.
3 - Se souvenir que chaque personne est différente. Même si un outil fonctionne bien avec une personne malentendante, ça ne va pas marcher pour une autre. Par exemple, j’ai besoin de très peu d’aides pour mes soucis d’audition, mais ce schéma ne va pas s’appliquer à tout le monde. Ça dépasse la question du degré de surdité. Il s’agit plus de : comment on se sent avec son handicap et comment on a évolué avec.
C’est vraiment important, car l’être humain a tendance à vouloir généraliser.
Ava - Un mot de la fin ?
Dans mon travail, je passe d’un bug à l’autre toute la journée (rires) et finalement… c’est l’histoire de ma vie ! Si j’ai réussi le cap de passer en fauteuil roulant, de devenir sourde et de m’adapter, ce n'estc’est pas un p’tit bug qui va m’arrêter !