« L’inclusion ? C’est valoriser les talents du collaborateur et lui donner les moyens de réussir »
Entretien avec Marine Cuda - Référente Mission Handicap à Prisma Media -
Ava - Pouvez-vous nous présenter brièvement Prisma Media ?
Leader des groupes bi-média de France, Prisma Media est le N°1 de la presse magazine, de la vidéo en ligne et de l’audience digitale quotidienne*. Ce leadership assure à Prisma Media un potentiel optimal d'audience de plus de 40 millions ** de personnes chaque mois sur ses différents médias, soit 4 Français sur 5. Avec un portefeuille de marques de référence, le groupe est présent sur les principaux segments tous publics. Porté par sa mission de rendre la vie des Français plus belle, Prisma Media adopte une stratégie offensive de développement de ses marques, de ses ressources et de nouveaux business dans les secteurs en forte croissance avec une ambition d'avoir toujours UN MÉDIA D’AVANCE.
Ava - Présentation : qui êtes-vous, quel est votre rôle au sein de la mission handicap à Prisma Media ?
Je m’appelle Marine Cuda, je travaille à Prisma Media depuis 2017 sur les enjeux d’engagement. Lors de ma prise de poste, l’enjeu principal pour moi a été de créer un lien de confiance avec les équipes. Chacun devait comprendre : qui est Marine ? Quelle est cette personne avec qui l’on va parler de sujets intimes ? Lors des 9 premiers mois je suis allée à la rencontre des équipes.
Je suis allée expliquer qui j’étais, pourquoi c’était un sujet qui avait du sens pour moi, pourquoi je travaille sur ce sujet-là et pas un autre. Il fallait que je comprenne aussi les freins des managers, des collaborateurs à évoquer le sujet du handicap.
Puis mon périmètre a évolué. Aujourd’hui je m’occupe de tous les enjeux d’engagement de manière globale : l’engagement des collaborateurs, la RSE, le volet humain, social, sociétal, nos écosystèmes locaux et l’environnement. J’ai également en charge les projets de transformation RH et de collaboration interne.
Aujourd’hui, ma mission consiste principalement à connecter les bonnes personnes aux bons endroits dans le cadre de projets pertinents. L’idée ? Faire en sorte que chacun ait les connexions pour réussir ses fonctions.
« Ma mission ? Connecter les bonnes personnes aux bons endroits au seins de projets pertinents. »
Ava - Comment fonctionne la mission handicap de Prisma Media ?
Mon rôle est d’accompagner :
- les personnes en situation de handicap ;
- celles qui ont des soucis de santé, mais qui ne sont pas prêtes à mettre le mot “handicap” sur leurs maux.
Grâce au soutien de notre COMEX et en particulier de notre Secrétaire Générale, l’entreprise investit des frais importants pour réaliser les aménagements nécessaires au bon déroulement de leurs missions. Mon travail consiste également à me mettre en réseau avec un certain nombre de partenaires internes ou externes : ergonomes, associations engagées sur ce sujet et collectifs de travail. Au coeur de ma mission se trouve un enjeu majeur : aider ces collectifs à accueillir au mieux la personne en situation de handicap.
« Comment préparer les équipes à accueillir le handicap en interne ? »
Se rapprocher des institutions gouvernementales est un premier pas nécessaire. En effet, avoir un contact à l’AGEFIPH nous aide à “décoder” des situations qui évoluent très rapidement. De même, connaître un interlocuteur de confiance à la MDPH nous aide à mieux aiguiller nos collaborateurs lors de la création de leurs dossiers auprès de leur département de résidence. Le volet associatif nous fournit aussi des réponses concrètes et globales. Par exemple, l’association LADAPT nous apporte une vraie vision à 360 °. Elle nous fournit un double soutien :
- au niveau médical avec leurs centres médico-sociaux ;
- au niveau de l’entreprise avec leurs plans de sensibilisations et d’accompagnement ;
Ces personnes de terrain nous “remettent les pieds sur terre” et nous aident de manière très pragmatique.
Des partenariats peuvent être envisagés avec les Entreprises Adaptées (EA) et ESAT locales. On aborde les points suivants : comment travailler ensemble ? Comment intégrer leurs salariés dans des parcours de réinsertion après des années d’arrêt professionnel ?
Ma conviction est qu’il faut se mettre en réseau. Sinon il existe un risque de rester dans notre tour d’ivoire, de mettre en place des actions sans impact ou encore de procrastiner, car on ne sait pas par où commencer.
« Ma conviction : on ne travaille bien qu'en réseau.»
D’ailleurs, dès ma première année, j’ai identifié les “ambassadeurs” de ce réseau en interne. Souvent ils s’intéressent au sujet du handicap pour des raisons personnelles ou par simple conviction. Ils vont faire remonter les “freins” de leurs collaborateurs et nous aider à identifier les sujets sur lesquels travailler.
Mon dernier rôle est plutôt celui d’”influenceur” en interne. Qu’est-ce qu’on met derrière le mot “handicap” ? Quels sont les réflexes à avoir en tant que collègue, en tant que manager ou en tant que direction face à ce mot-là ? Comment faire pour que le sujet du handicap ne soit pas tout en bas de la pile ? Comment faire pour qu’on obtienne le budget suffisant pour agir ou pour que notre entreprise se positionne différemment, avec de vraies actions concrètes ?
Ava - Selon vous, que recouvre la notion de handicap au travail ?
Au lieu de parler de statut RQTH, j’ai plutôt l’habitude de parler de “personne en situation de handicap.” Pour moi, choisir les mots justes, c’est un vrai sujet. Je vous donne un exemple :
un jour, en réunion, un collaborateur porteur d’un handicap visuel présente un sujet sur lequel il est incollable. Tout se passe bien, il est à l’aise et se sent dans son élément. Le seul moment où il sera en situation de handicap… est celui où on lui demandera de réaliser un powerpoint et de le présenter !
Pour moi c’est quand même le premier sujet à aborder. On a tendance à utiliser le mot “handicap” comme une étiquette, mais à partir du moment où l’on trouve les bons aménagements et les bonnes conditions pour que la personne puisse réussir dans son poste, elle a les capacités de le faire. En conséquence, sa situation s’améliore et ce contexte lui redonne confiance en ses compétences.
Il y a aussi le fait que le handicap peut être temporaire ou permanent. Par exemple, un collègue en rémission d’un cancer n’a pas envie, lors de son retour au travail, de se voir collé une étiquette de malade sur le front. Pourtant en l’acceptant, il pourrait être accompagné et obtenir une reconnaissance temporaire, au moins sur toute la durée de la rémission. Ainsi, il pourrait accéder plus facilement à des soins que s’il empruntait le “circuit habituel” et pourrait se faire rembourser des frais habituellement très élevés, même durant une rémission. Pour moi le handicap ne détermine pas une identité, mais pointe les conditions à mettre en place pour qu’il réussisse dans ses fonctions.
Ava - Quel type de handicap rencontrez-vous le plus souvent au sein de votre mission : est-il plutôt de l'ordre du visible ou de l'invisible ?
99 % des collègues que j’accompagne aujourd’hui sont en situation de handicap invisible. Généralement il s’agit de maladies évolutives ou de problématiques cognitives. Bien sûr j’accompagne une collaboratrice qui est en fauteuil, mais le sujet ce n’est pas le fauteuil, c’est bien plus insidieux. Dans mon métier, la notion d’anonymat, à plusieurs niveaux, est importante. Des collègues vont venir me voir et me demander que notre échange reste confidentiel. D’autres vont avoir besoin que je les aide à en parler à leur RRH ou à leur manager. Enfin, certains vont en parler très librement. C’est vraiment un chemin propre à chacun.
« Le mot "handicap", en français, est lourd à porter.»
Pour la plupart, néanmoins, le mot “handicap” va être difficile à supporter, sauf si on leur a dit qu’ils pouvaient m’en parler librement ou qu’on pouvait procéder à leur rythme, par étapes. Ils s’interrogent : quel sera l’impact de cette information dans ma vie professionnelle ? Ma carrière risque-t-elle d’être ralentie ? Par ailleurs, les écoles sont très en retard par rapport au handicap. Quand on accueille des jeunes ou étudiants en alternance à Prisma Media, certains le mentionnent sur le cv et d’autres non. Ils doivent constamment s’adapter à l’environnement de travail et une majorité d’entre eux ne vont pas le mentionner dans leur CV.
Ava - À Prisma Media, vous êtes utilisateurs de la solution Ava. Comment l’application améliore-t-elle l’inclusion de certains de vos collaborateurs ?
J’ai découvert Ava et ça a littéralement changé la vie de l’une de nos collaboratrices. Nous en sommes très satisfaits. Nous utilisons la version Ava Pro dont Scribe. Notre collaboratrice possède Ava Pro pour son quotidien et ses réunions. Elle utilise Ava Scribe notamment quand elle assiste à des réunions où elle a plus d’interlocuteurs. Dès que l’on dépasse un certain nombre de personnes, il est difficile pour l’Intelligence Artificielle de corriger les fautes ou de retranscrire certaines situations, notamment les doubles sens. Dans ce cas, il faut un scribe à l’arrière-plan qui reprend et corrige les propos en temps réel afin que tout soit exact. La limite ? Lorsque l’on est sur des plénières de rédaction. Avec plus de 50 interlocuteurs présents autour de la table, on doit faire appel à un interprète LSF.
« Ava a changé la vie de l'une de nos collaboratrices. Nous en sommes extrêmement satisfait à Prisma Media ! »
Ava - Pouvez-vous nous expliquer quels sont les différents types de handicaps “invisibles” ?
Imaginons que vous avez un diabète. Vous savez le gérer, vous vous connaissez bien, mais certaines situations de vie (accouchement, ménopause, variation hormonale, etc.) vont changer la donne. Les niveaux d’insuline vont alors s’emballer et vous aurez besoin, à ce moment-là d’être davantage suivi. Selon la situation et les moments de vie, une personne peut être reconnue en situation de handicap ou non.
« Selon la situation, on peut être reconnu en situation de handicap ou pas.»
La sclérose en plaques, par exemple, est évolutive et dès que le diagnostic est posé, sa reconnaissance est systématiquement permanente. Certaines personnes, en rémission de cancer, peuvent être reconnues travailleurs en situation de handicap car elles sont soumises à un fort risque de rechute et/ou de fatigabilité. Les troubles du spectre autistique (TSA), eux, sont encore très difficilement diagnostiqués. Si la personne n’est pas diagnostiquée, on ne reconnaîtra pas la situation de handicap. Il faut aussi qu’elle souhaite faire son propre chemin pour réaliser qu’elle est neuro-atypique. Les conséquences concrètes de ce trouble seront que :
- sur certains postes elle va pouvoir s’adapter facilement ;
- sur d’autres missions, ce sera plus compliqué.
Par exemple, lorsqu’il y a trop d’interactions sur un poste, cela suppose plus d’efforts fournis de sa part et une compensation constante. La personne ayant des TSA connaît des moments de crise et des moments plus stables dans sa vie professionnelle. Toutes les situations sont très évolutives et il n’existe pas de situation similaire d’une personne à une autre, y compris sur une même pathologie.
« Pour le salarié, la question à se poser est : est-ce que je suis en confort ou est-ce que je compense ? À partir du moment où on est mis en difficulté face à une situation de travail, on doit se poser la question. »
Souvent les personnes atteintes de TSA ont compensé pendant 20 ans. Certaines se préparent la veille d’une série de rendez-vous pour “baliser” tous leurs entretiens pour le lendemain. Le soir suivant, elles auront besoin de déconnecter et de se reposer. Aujourd’hui, en Europe, on ne connaît pas encore bien cette pathologie et ses impacts. De même, si une dépression empêche de faire son travail, on peut être reconnu travailleur RQTH.
La reconnaissance RQTH est aujourd’hui un droit que l’on doit savoir utiliser. De quoi ai-je besoin ? Si j’ai une fatigabilité, un mal ou une douleur… Pourquoi ne pas aller demander un accompagnement individuel, une aide financière ou l’appui d’un ergothérapeuthe ? J’entends que cela soit encore difficile pour certains salariés. Ils se disent : quel impact ce nouveau statut va-t-il avoir dans ma vie professionnelle ? Contrairement à la mutuelle je dois passer par l’employeur pour bénéficier de ces aides.
Ava - Comment définiriez-vous le terme "inclusion" en matière d’outils, de systèmes, d’état d'esprit et de législation ? Y-a-t-il eu de nouvelles lois sur le handicap en 2022 ?
Pour moi, l’inclusion, c’est le moment où l’on se concentre sur les compétences d’une personne pour qu’elle puisse réussir ses missions. Prenons un exemple : je suis salarié et l’on me demande de parler en anglais au téléphone. Soit je ne vais pas être à l’aise, car je ne sais pas parler anglais, soit je serai bloqué, car j’évite les interactions. Dans le deuxième cas, la mission handicap va m’accompagner. Dans quel but ? Que je puisse dialoguer en anglais, de manière fluide et sereine, avec ce partenaire.
« L'inclusion implique de se concentrer sur les compétences du salarié pour lui donner les moyens de réussir sa mission. »
En matière de lois, il y a eu un changement de paradigme appliqué à partir du 1er janvier 2021. À présent, on ne comptabilise plus que les personnes que l’on intègre directement dans l’entreprise (CDI, CDD, Stage ou Alternance). Notre obligation, en tant qu’entreprise, est d’inclure des personnes en situation de handicap au sein de nos équipes. Il ne s’agit plus de créer un “puzzle” où l’on respecte le quota en faisant travailler ces personnes à l’extérieur de l’écosystème. Ce changement nous permet plus de proactivité.
Ava - Que faire pour aider à changer le regard sur le handicap en entreprise ?
Les managers ont des réticences à employer des personnes en situation de handicap, souvent par méconnaissance de celui-ci.
Par exemple, une manager me raconte qu’elle vient de rencontrer une candidate très compétente pour un poste. Elle dispose des atouts idéaux pour la mission et l’entretien s’est très bien passé. Seulement, elle s’inquiète de la mention du handicap sur le CV : comment puis-je me projeter en tant que manager ? Que veut dire concrètement ce handicap au quotidien ? Est-ce que cette candidate sera plus souvent en arrêt maladie ? Dans ce cas, mon rôle est donc de la rassurer dès le départ en lui indiquant les possibilités en matière d’aménagements pour ce poste, par exemple.
Une situation récurrente s’avère délicate pour la plupart des entreprises. Lorsque les personnes en situation de handicap reviennent d’un arrêt maladie, comment aménager une reprise de poste progressive avec un contrat de 10h ou de 15h par semaine ? Comment combiner des enjeux budgétaires (nombre de ETP) à la réintégration des salariés reconnus RQTH ? Souvent, ces postes “de reprise” ne sont pas bien calibrés par rapport au modèle de l’entreprise. Le salarié se retrouve sur un poste “patchwork” dans lequel il a du mal à trouver ses marques.
Face à cela, la médecine du travail est mon premier partenaire au quotidien.
Ava - Un mot de la fin ?
Comme tout sujet qui peut être tabou, il faut oser en parler. Toute personne en situation de handicap a envie de répondre à la question suivante : de quoi as-tu besoin pour bien travailler ? Tout comme les membres d’une équipe aimeraient qu’on leur pose cette question-là au quotidien. Ensuite, chacun ou chacune mettra ses propres limites à la discussion.
Dans tous les cas, il faut éviter de contourner la question au risque de provoquer des quiproquos ou des malentendus. Plus la personne en situation de handicap anticipe et sait reconnaître qu’elle a besoin d’aide, plus elle pourra être orientée vers les bonnes personnes. L’entreprise ne peut pas dire que ce n’est pas un sujet pour elle. Si la personne se sent bien, elle sera automatiquement plus épanouie dans son travail.