❝ On a besoin de modèles inspirants pour accepter notre surdité et libérer notre parole. ❞
Crédit photo : Rosewood Photographie
Entretien avec Kim Auclair, sourde de naissance, entrepreneure, blogueuse et conférencière québécoise
Ava - Bonjour Kim, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Kim Auclair, je suis sourde et j’entends grâce à un implant cochléaire. Ma surdité, de sévère à profonde, est une surdité de naissance. Mon oreille gauche n’entend pas. Avant la date du 17 septembre 2019 où j’ai eu mon opération pour l’implant cochléaire à l’oreille droite, je portais un appareil auditif.
Ava - Comment a-t-on découvert ta surdité ?
Très jeune je ne répondais pas aux voix ou aux sons. Quand mes parents n’étaient pas dans mon champ visuel, je ne réagissais pas. Face à cela, mes parents ont été très proactifs. Lorsque j’avais 8 mois, les médecins ont suspecté une surdité, ensuite diagnostiquée de manière officielle deux mois plus tard. Aujourd’hui, heureusement, on procède à des dépistages précoces dès la naissance.
Ava - Comment se sont passées tes études ? Ta vie sociale et professionnelle ?
J’ai grandi dans le monde des entendants. Par conséquent, j’ai beaucoup exercé ma voix et elle s’est modifiée au fil des années. Avant, ma voix n’était pas celle que vous entendez aujourd’hui.
À l’école, j’ai effectué une scolarité classique et j’avais plutôt de mauvaises notes. Je n’apprenais pas de la meilleure façon, car la pédagogie dispensée par les professeurs n’était pas adaptée à ma méthode d’apprentissage. En général, si je ne suis pas dans de bonnes dispositions pour intégrer l’information ou si je n’en ai pas besoin dans l’immédiat, c’est simple… je ne la retiens pas ! Je dois expérimenter par moi-même.
Avec le recul, je ne sais pas comment j’ai fait pour réussir ma scolarité avec toutes ces matières théoriques.
Ce qui rend mon parcours exceptionnel ? Je suis une professionnelle sourde qui travaille dans le monde des communications. Cela fait 20 ans que j’utilise le web comme principal outil de communication. Il a résolu la majorité des défis que je rencontrais au quotidien.
J’ai fait des études en graphisme, mais en réalité, ce que j’ai appris et ce qui me sert aujourd’hui, a été appris de manière autodidacte : entrepreneuriat, création de sites, infographie, rédaction web, animation de communautés, réseaux sociaux, relations presse, etc.
❝ Le web a été mon école. ❞
Je n’apprends pas en lisant un livre, j’apprends en faisant des essais et des erreurs. Durant ces années d’apprentissage, j’ai touché à tout, mais aujourd’hui ma spécialité ce sont les relations presse. J’accompagne les petites entreprises pour qu’elles puissent prendre goût à cet univers-là et être autonomes sur la gestion des RP.
Ava - Comment as-tu pris la décision d’opter pour l’implant cochléaire ?
L’épuisement à tous les étages
Avant d’accepter ma surdité, j’ai beaucoup misé sur ma carrière. Après avoir publié mon premier livre en 2017 sur mes 10 premières années d’entrepreneuriat, je suis tombée dans une sorte d’épuisement généralisé. En réalité, je ne m’étais pas dévoilée dans ce livre-là. J’aurais pu le faire, mais je ne l’ai pas fait.
Les gens qui me connaissaient m’ont dit : “il manque quelque chose dans ton livre. Tu ne parles pas des défis liés à ta surdité ou des techniques que tu as développées pour saisir l’information en toutes circonstances. C’est dommage.”
Il y a eu, cette année-là, un effet “boule de neige”. J’essayais de me renouveler dans ma carrière, mais mon énergie n’était plus la même… S’adapter en permanence à un univers qui n’est pas le sien et à des méthodes de communication inadaptées, ça provoque une grande fatigue.
On m’avait déjà parlé de l’implant cochléaire quand j’avais 18 ans, mais je voulais vivre ma jeunesse avec insouciance. Les recherches que je faisais alors sur le sujet me terrifiaient : énormes cicatrices, témoignages décourageants, risques physiques importants, etc.
La quête identitaire et communautaire
J’ai décidé de ralentir mon travail d’entrepreneure et suis partie dans une sorte de quête de sens. Jusqu’alors, j’avais toujours refusé de bénéficier d’aides spécifiques, car je voulais être considérée comme les autres. Suite à cet épuisement, j’ai fait une démarche personnelle pour découvrir :
- qui je suis par rapport à ma surdité ?
- qu’est-ce qu’un implant cochléaire ?
❝ En 2017 j’ai ressenti le besoin de parler ouvertement de ma surdité. ❞
J’ai eu besoin de renouveler mon énergie et de m’accepter entièrement. En 2017, j’ai décidé de demander de l’aide. Dans un centre de réadaptation, j’ai demandé toutes les aides possibles : psychologue, audiologiste, orthophoniste…
J’ai posé toutes les questions qui me venaient à l’esprit. Puis j’ai décidé d’aller m’impliquer dans la communauté sourde et malentendante. Je les avais ignorés jusqu’alors, car je ne m’étais jamais identifiée à eux. J’ai même trouvé un emploi dans un organisme à but non lucratif pour me rapprocher de cette communauté.
Crédit photo : Christine Jobin / Photographie Christine
C’est à ce moment-là que j’ai connu Ava, car en 2018, on faisait des tests de nouvelles technologies qui pouvaient aider les personnes sourdes et malentendantes grâce aux sous-titres, etc. (lire notre article sur l’IA au service des personnes sourdes et malentendantes.)
Durant cette année, j’ai rencontré une personne qui venait de se faire implanter. Elle m’a convaincue en me disant que ça avait changé sa vie et que je ne perdais rien à effectuer une demande. C’était un processus assez long. J’ai partagé tout ce processus d’acceptation de ma surdité sur les réseaux sociaux, pendant 1 an. J’avais peur, pourtant, de me montrer vulnérable, de ne pas être considérée comme une professionnelle et de perdre de potentielles opportunités business. En réalité, ce que l’implantation m’a apporté, ce 17 septembre 2019, c’est la possibilité d’être juste “plus moi” et de communiquer autrement sur ma surdité.
❝ J’ai enfin pu arrêter de me cacher et sensibiliser
beaucoup de personnes autour de moi. ❞
Pendant tout ce processus, j’ai commencé à dessiner tout ce qui m’arrivait. Je documentais chaque évènement, chaque joie et chaque difficulté.
L’après-implantation cochléaire
Après qu’on m’ait posé l’implant, j’ai commencé à percevoir toute une série de nouveaux sons liés à l’environnement immédiat : les sons produits par les gens situés dans une autre pièce alors que la porte est fermée, les pas au-dessus de ma tête, les voix plus “claires” dans la musique, les sons plus forts… L’expérience varie d’une personne à l’autre.
Crédit photo : Marrie-eve Photo
Depuis que j’affiche ma surdité, j’aide beaucoup d’organisations en lien avec la surdité. J’ai accès à un réseau incroyable, je collabore de manière bénévole ou non, avec de nombreux organismes.
Ava - Tu as créé des outils de sensibilisation pour les personnes sourdes ou malentendantes. Peux-tu nous en parler ?
J’ai créé des outils de communication variés : bande dessinée, articles de blog, illustrations, guides pratiques pour travailler avec des personnes sourdes et malentendantes. Tout est réuni et actualisé sur cette page.
Par exemple, durant la pandémie entre 2018 et 2020, il y avait de nombreux obstacles à la communication. En partenariat avec “Audition Quebec”, j’ai réalisé une petite bande dessinée pour expliquer aux commerçants comment agir avec les personnes sourdes et malentendantes.
❝ À chaque fois que je vis une difficulté, je la documente
pour la partager et lui donner une seconde vie. ❞
Documenter les épreuves, ça permet de leur donner du sens et de les rendre utiles. J’ai besoin de partager ces expériences, de montrer qu’on peut contourner les obstacles. Le fait qu’on me fasse confiance et qu’on croie en moi m’amène à être positive et pleine d’énergie pour avancer !
Crédit photo : Marrie-eve Photo
Ava - Que préconiserais-tu pour que notre société s’adapte davantage aux besoins des personnes sourdes et malentendantes ?
Pendant la pandémie, la surdité a été le handicap invisible le plus visible. Pour changer les choses, je pense qu’il faut montrer plus de role model. Quand j’étais jeune, j’ai manqué de modèles. Je ne m’identifiais pas aux personnes sourdes. Leur surdité était beaucoup plus “visible” que la mienne et souvent ils portaient un autre handicap en plus de la perte auditive. Même situation quand j’allais voir mon audiologiste : il n’y avait quasiment que des personnes âgées autour de moi.
Tout part du manque de modèle. Pour que la personne puisse s’accepter, elle doit avoir un modèle de référence. Ensuite, il lui sera plus facile de s’accepter et de parler de sa surdité plus ouvertement. Il y a beaucoup plus de personnes qui ont des problèmes de surdité que ce qu’on croit.
J’aimerais qu’il y ait plus de modèles de réussites exposés à la télévision. Il faut montrer que les personnes sourdes peuvent réussir dans de nombreux domaines.
Enfin il faut continuer à effectuer énormément de sensibilisation. Les actions gouvernementales ne suffisent pas et ne s’inscrivent pas forcément dans une logique durable. Je rencontre encore beaucoup de défis de communication avec certaines personnes qui manquent d’ouverture d’esprit ou de connaissance sur la réalité d’une personne sourde. Ces informations sont facilement oubliables.
Ava - Un mot de la fin ?
En se connaissant mieux, en acceptant sa surdité, on peut dévoiler nos talents et se démarquer autrement.
De nombreuses personnes sourdes ont de fabuleux talents manuels ou artistiques (lire notre article sur l’histoire d’Odiora) ou sont des experts du web (lire notre interview de Than Lanh Doublier ). Cela leur ouvre autant de portes qu’ils enrichissent eux-mêmes le monde !
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